Trauma de négligence : quand le manque façonne la sexualité – une lecture psychocorporelle et sexothérapeutique


7 min de lecture

On parle beaucoup des traumas visibles : la violence, les abus, les chocs.
Mais il existe un trauma silencieux, chronique, souvent minimisé : le trauma de négligence.

Il ne laisse pas forcément de traces sur le corps, mais il structure profondément la manière d’aimer, de s’attacher, d’être en relation… et de vivre sa sexualité.
Ce trauma peut être parental, un manque d’attention, de regard, de soin, mais il peut aussi se rejouer plus tard dans le couple, sous forme de distance affective, d’indifférence ou d’absence de présence.


Cet article explore comment ce trauma impacte la sexualité, pourquoi certains comportements déroutants ne sont pas des “perversions” mais des stratégies de survie, et en quoi la sexothérapie peut ouvrir un chemin de réparation.


Comprendre le trauma de négligence : un manque qui devient un mode de vie

Le trauma de négligence n’est pas un événement isolé, mais un vide répété, là où un enfant aurait dû recevoir :

  • du regard,

  • de la présence,

  • de la régulation émotionnelle,

  • du toucher sécurisant,

  • une réponse à ses besoins fondamentaux.

La négligence ne se limite donc pas à l’absence de satisfaction des besoins physiologiques.
Ce n’est pas seulement ne pas donner à manger, ne pas donner à boire ou offrir un toit inadéquat.
Beaucoup d’enfants ont grandi avec des vêtements, un lit et des repas — mais sans sécurité émotionnelle.

La négligence se situe ailleurs : dans l’absence de réponses aux besoins affectifs et psychiques : être consolé, être vu, être nommé, être pris dans les bras, être reconnu dans ses émotions.


Quand ces besoins ne sont pas accueillis, l’enfant comprend très tôt que :

ce qu’il ressent ne compte pas, ne sera pas entendu, et n’appelle aucune réponse.

Alors, pour survivre, il développe une stratégie puissante mais coûteuse : ne plus rien attendre des autres.


Quand rien ne vient, l’enfant apprend à ne rien attendre.

Il développe une auto-suffisance émotionnelle, parfois admirée socialement, mais qui repose sur un prix intérieur très élevé : ne dépendre de personne pour ne jamais revivre le manque.


Ce retrait interne protège de la déception, mais qui devient, une fois adulte, une barrière à l’intimité, au soutien et à la sexualité partagée.


Quand le manque d’attachement devient un trouble de la sexualité

La sexualité, lorsqu’elle se construit sur un terrain de négligence, ne devient pas un espace de rencontre, mais un dilemme sans solution :
désir de proximité ↔ peur de dépendre.

Cela peut donner lieu à des fonctionnements très différents, parfois opposés, mais ayant une racine commune.


1. Sexualité sans lien

  • cybersexualité ou excitation avec des objets inanimés

  • sexualité anonyme (parcs, saunas, hammams)

  • relations avec travailleurs du sexe

  • monogamies en série où l’on rompt avant l’attachement

Objectif inconscient : éviter l’impact émotionnel de l’intimité.


2. Infidélités répétées

L’infidélité n’est jamais la cause unique des difficultés du couple — elle révèle un espace vide où une troisième personne peut entrer.
Ce n’est pas tant “être infidèle” que ne pas supporter l’intensité du lien.


3. Abstinence ou absence totale de sexualité

Certaines personnes vivent des décennies sans rapports sexuels, parfois jusqu’à ce qu’une crise ou la quarantaine réveille :

  • de la colère,

  • une peur de dysfonctionnement,

  • la sensation d’avoir “raté quelque chose”.


4. Dysrégulations et comportements compulsifs


Ces comportements, souvent étiquetés comme “addiction sexuelle”, ne correspondent pourtant à aucune définition clinique validée.
Ils sont avant tout des tentatives de régulation d’un système nerveux désorganisé.


Quand le corps transforme le manque en sexualité

Certains enfants grandissent dans des contextes où leur corps est confronté trop tôt à des réalités qu’il ne peut intégrer :
des expositions précoces à la sexualité, une puberté vécue sans mots ni accompagnement, ou encore des environnements familiaux chaotiques où l’enfant est témoin de scènes qu’il ne comprend pas.

Ces expériences ne sont pas assimilées comme des choix, mais comme des chocs sensoriels et émotionnels qui dépassent leurs capacités de régulation.

Elles entraînent souvent :

  • une confusion entre excitation, peur et danger,

  • un système nerveux constamment en alerte,

  • une difficulté à interpréter ce qui se passe dans le corps,

  • et l’impossibilité de demander du soutien ou même de mettre des mots.

Dans ces conditions, la sexualité ne se développe pas comme un espace de découverte ou de relation, mais comme un signal d’alarme interne, où se mêlent :

peur, honte, désir, dégoût et une profonde solitude.

Ce n’est pas la sexualité qui est le problème, mais la manière dont le corps a dû survivre à ce qu’il ne pouvait pas comprendre.


L’impact de la négligence dans le couple adulte

Les éléments qui suivent sont issus d’un document de travail, et ne constituent pas une analyse exhaustive, mais une mise en forme de certaines pistes de réflexion.

Lorsqu’une personne a grandi dans un contexte de négligence émotionnelle, ce vécu peut réapparaître plus tard dans sa vie de couple.
Il ne s’agit pas d’un choix ni d’un refus d’aimer, mais d’un mode de protection appris très tôt, qui se rejoue malgré soi.


On peut l’observer à travers des situations très concrètes, par exemple :

  • Absence ou difficulté à toucher l’autre
    → corps qui se fige lorsque le partenaire approche,
    → câlins vécus comme envahissants,
    → contacts limités au strict nécessaire (bonne nuit / bonjour).

  • Évitement du regard
    → incapacité à soutenir le regard plus de quelques secondes,
    → regard détourné pendant les conversations intimes,
    → sensation de vulnérabilité lorsqu’on est “vu”.

  • Impossibilité de parler de sexualité sans malaise
    → rire nerveux, changement de sujet, colère ou mutisme,
    → impression que “c’est gênant” ou “interdit”,
    → peur d’être jugé ou de décevoir son partenaire.

  • Sentiment d’être “intouchable” ou “trop loin”
    Cela ne signifie pas qu’on ne veut pas être aimé, mais que :
    → on ne se sent pas digne d’être approché,
    → on a l’impression que le corps est séparé du lien,
    → on ne ressent plus rien quand l’autre touche, ou au contraire tout devient trop intense.
    Ce n’est pas du rejet, c’est une ancienne stratégie de survie qui dit :“si je ne me laisse pas atteindre, je ne serai pas blessé”.

  • Ambivalence face à la parentalité
    → désir d’enfant présent un jour, absent le lendemain,
    → peur de ne pas savoir aimer “comme il faudrait”,
    → grossesse acceptée pour l’autre mais pas pour soi,
    → difficulté à créer du lien avec le bébé dans les premiers mois.


La négligence ne traduit pas un manque d’amour, mais un manque de capacité relationnelle.

Autrement dit, certaines personnes aiment profondément, mais n’ont jamais reçu les outils internes pour être en lien, et doivent les construire plus tard, souvent pour la première fois, dans la thérapie ou dans le couple.


Pourquoi le regard est un outil thérapeutique majeur

Dans la sexothérapie appliquée au trauma de négligence, le regard est souvent l’un des premiers terrains de travail.


Pour ces patients, soutenir le regard 1 à 2 minutes peut être :

  • bouleversant,

  • érotique,

  • activant,

  • réparateur.

Car ce qui a manqué au début de la vie, le regard nourrissant, devient le premier vecteur de ré-humanisation


Les fondements d’une sexualité saine

Selon Doug Brown Harvey, six piliers permettent d’évaluer la santé sexuelle


  1. consentement explicite

  2. non-exploitation

  3. honnêteté

  4. valeurs partagées

  5. protection (MST / contraception)

  6. plaisir mutuel


Pour les survivants de négligence, le pilier manquant est souvent la présence : Peggy Kleinplatz a montré que c’est le facteur le plus cité par les couples heureux et comblés.


Ce que la sexothérapie change vraiment

La sexothérapie intégrée au travail traumatique ne se concentre pas sur la performance ou les techniques sexuelles, mais sur :

1. La régulation

Calmer le système nerveux pour rendre la sexualité possible dans la fenêtre de tolérance.

2. La relation

La sexualité devient un espace de rencontre, pas un espace d’évitement.

3. L’intimité progressive

Développer la capacité à :

  • ressentir,

  • rester en lien,

  • se laisser toucher,

  • être présent sans se dissocier.

Le couple est un cadre thérapeutique unique, car la sécurité créée peut être ramenée à la maison

.


Pourquoi ce sujet reste tabou, même en thérapie


Les médecins, psychiatres et thérapeutes parlent très peu de sexualité, et ne demandent pas spontanément aux patients d’en parler


Résultat :

  • les patients pensent que ce n’est “pas un sujet à aborder”,

  • les troubles restent invisibles,

  • la honte se renforce.

La réparation commence souvent par une autorisation :
nommer les mots, poser des questions, ouvrir un espace.


La négligence est un manque répété, la réparation est une présence répétée.


En conclusion

Le trauma de négligence ne fait pas du bruit, mais il façonne :

  • l’identité,

  • l’attachement,

  • la capacité d’aimer,

  • la sexualité.

La sexothérapie, lorsqu’elle intègre le trauma, ne cherche pas à “normaliser” la sexualité mais à restaurer la sécurité, la présence et la relation.

Ce n’est pas la performance qui guérit, mais la possibilité d’être deux, dans le moment présent.

Comprendre le trauma de négligence : un manque qui devient un mode de vie


Le trauma de négligence n’est pas un événement isolé, mais un vide répété, là où un enfant aurait dû recevoir :

  • du regard,

  • de la présence,

  • de la régulation émotionnelle,

  • un toucher sécurisant,

  • une réponse à ses besoins relationnels.


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